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C’est dans la nature humaine de remettre à demain ce qui peut être fait aujourd’hui. L’entrée en vigueur de la Loi sur les régimes volontaires d’épargne-retraite (RVER) pour les entreprises de 20 employés et plus le 31 décembre dernier en est la preuve. Après une année de calme plat, les RVER se sont multipliés chez les employeurs de la province au cours des dernières semaines de 2016.

Selon les plus récentes données de Retraite Québec, 5 302 RVER étaient ouverts au 31 décembre dernier, en forte progression par rapport au 30 septembre, où il n’y en avait que 3 125.

« Les employeurs ont vraiment attendu à la dernière minute, confirme Robert Dumas, président de la Financière Sun Life pour le Québec. Environ les trois quarts des RVER et des « produits de remplacement » comme les REER collectifs ont été vendus à l’automne. »

Si certaines entreprises ont attendu minuit moins une pour se conformer à la réglementation, d’autres sont carrément en retard, croit-il. Il faudra donc patienter au moins jusqu’à la fin du premier trimestre pour avoir une idée plus juste de la réelle portée du RVER. « Certains observateurs ont été prématurément pessimistes. Il est encore trop tôt pour faire un réel bilan », affirme M. Dumas.

Même son de cloche à l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP), qui a parcouru les routes du Québec l’automne dernier pour convaincre les employeurs de passer à l’action. Or, dans les dernières semaines de l’année, certaines séances d’information ont dû être annulées. « Les chambres de commerce nous disaient que leurs membres avaient déjà adhéré au RVER, raconte Lyne Duhaime, présidente de l’ACCAP-Québec. L’année a été très tranquille dans l’ensemble, mais il y a eu une cohue dans les dernières semaines. »

IL N’Y A PAS QUE LE RVER DANS LA VIE

La Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST), qui assure le respect des normes du travail, dont celle relative à la mise en œuvre du RVER, a évalué qu’environ 15 000 entreprises étaient visées par la première échéance du 31 décembre 2016. Si un peu plus de 5 000 RVER ont été ouverts jusqu’à présent, c’est donc dire que les quelque 10 000 autres employeurs visés ont choisi un autre type de régime pour se conformer à la loi… ou sont en infraction. « Un employeur sur trois qui devait se conformer à la loi a choisi le RVER. C’est un résultat très satisfaisant », tient à souligner Frédéric Lizotte, porte-parole de Retraite Québec.

Le problème, c’est que l’organisme gouvernemental n’a pas de données sur tous les types de régimes d’épargne-retraite collectifs. L’Agence du revenu du Canada n’a pas non plus été en mesure de nous fournir des données récentes sur le nombre de REER collectifs en vigueur au Québec. Il est donc très difficile d’obtenir un portrait global pour le moment.

Mais selon Robert Dumas, les solutions de remplacement au RVER sont loin d’occuper une position marginale dans le marché. « Plus de la moitié des régimes collectifs d’épargne-retraite que nous avons ouverts en 2016 ne sont pas des RVER », soutient-il.

La mauvaise réputation qu’a acquise le RVER dans l’industrie depuis son lancement y est-elle pour quelque chose? « Je ne suis pas prêt à condamner le RVER. En obligeant les employeurs à implanter un régime d’épargne-retraite, le gouvernement devait leur offrir une option d’entrée de gamme à faible coût. Oui, le plafonnement des frais de gestion cause certains problèmes et limite les possibilités, mais il ne faut pas perdre de vue que le RVER est un produit de base », explique M. Dumas, en concédant que de meilleurs régimes existent pour les employeurs qui ont des besoins « plus avancés ».

« Je ne comprends pas trop pourquoi on a entendu tant de choses négatives sur le RVER, mentionne pour sa part Lyne Duhaime. Bien plus de travailleurs québécois ont aujourd’hui accès à un régime de retraite grâce au RVER. C’est très positif. »

COTISERA, COTISERA PAS

Retraite Québec assure mener des travaux pour récolter des informations sur les cotisations patronales et le taux de désistement des employés dans les RVER, mais aucune donnée officielle n’est disponible pour le moment. Cela dit, les experts consultés s’entendent pour dire que très peu d’employeurs ont choisi de verser des cotisations de contrepartie dans leur RVER. Ceux qui ont l’intention de s’engager davantage dans la planification de la retraite de leurs employés se seraient d’ailleurs majoritairement tournés vers d’autres types de régimes, observe Robert Dumas.

Vu ce faible engouement chez les employeurs, Québec devrait-il envisager la possibilité de rendre la cotisation patronale obligatoire? La Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) s’y oppose fermement. « Nous favorisons plutôt des mesures volontaires, affirme Martine Hébert, vice-présidente principale et porte-parole nationale de l’organisme. Les taxes sur la masse salariale sont déjà beaucoup plus élevées au Québec que dans les autres provinces. Une cotisation obligatoire pèserait très lourd sur les petites entreprises. »

Pour encourager les travailleurs à épargner et inciter les entreprises à leur donner un coup de pouce, Mme Hébert milite plutôt en faveur d’une réduction de leur fardeau fiscal. « Il faut leur donner la marge de manœuvre pour épargner. En les obligeant à cotiser, on ne fait que les infantiliser », insiste-t-elle.

Lyne Duhaime souligne de son côté que la cotisation de l’employeur est un incitatif déterminant à l’épargne, mais que la rendre obligatoire n’est peut-être pas la meilleure solution. « Même si l’industrie de l’assurance bénéficierait de l’instauration d’une cotisation patronale obligatoire, l’ACCAP privilégie l’éducation à la coercition pour l’instant.

La problématique de la pénurie de main-d’œuvre va de toute façon pousser de plus en plus d’employeurs à cotiser à leur régime d’épargne-retraite pour retenir leurs employés, croit-elle.

CE N’EST PAS FINI

À peine quelques semaines après la première échéance, il est donc difficile de mesurer le réel succès du RVER. Mais ce qui est sûr, selon Martine Hébert, c’est qu’il a au moins permis de conscientiser employés et employeurs à l’importance de la planification de la retraite. « Le principal bénéfice de la Loi sur les RVER a été de démystifier les outils d’épargne à la disposition des employeurs. Ces derniers ont pu constater que, même avec peu de moyens, ils peuvent aider leurs employés.»

Lyne Duhaime croit par ailleurs que le gouvernement devrait attendre de voir les effets du RVER sur le taux d’épargne des Québécois avant de modifier de façon importante le Régime de rentes du Québec. D’ici là, le prochain rendez-vous est fixé au 31 décembre 2017, l’échéance pour les entreprises de 10 employés et plus. Une date décisive quand on sait que plus de 80 % des entreprises au pays comptent moins de 20 employés.