Dans le monde des affaires, il arrive souvent qu’un propriétaire d’entreprise décide d’intégrer des membres de sa famille (époux ou enfants) à l’actionnariat de sa société. L’objectif est généralement de fractionner le revenu avec la famille ou de transférer graduellement la société à la prochaine génération.

Au moment de procéder, il est important de connaître les nombreuses règles fiscales qui régissent les transactions entre personnes liées, car l’avantage escompté (minimiser les impôts) pourrait disparaître à la moindre erreur. Voici quelques situations où l’intégration du conjoint ou d’un enfant coûtera plus cher que prévu à l’actionnaire.

FRACTIONNEMENT AVEC UN ENFANT MINEUR

Un propriétaire d’entreprise pourrait être tenté d’intégrer ses enfants mineurs à l’actionnariat de sa société pour profiter d’un fractionnement de revenu. Ainsi, il verserait des dividendes à ses enfants afin qu’ils paient eux-mêmes les impôts sur les dividendes ainsi que leurs frais de scolarité ou leurs activités avec l’argent qu’ils recevraient. Comme un mineur n’a généralement aucun revenu (ou très peu), cette planification permettrait d’importantes économies d’impôts.

Toutefois, une règle empêche ce genre de planification : l’impôt sur le revenu fractionné, mieux connu sous le nom de « Kiddie Tax ». Elle a pour effet d’imposer l’enfant mineur sur tout dividende ou avantage conféré par la société au taux d’imposition le plus élevé, soit 49,96 %. De plus, l’enfant ne pourra utiliser ses crédits d’impôt de base pour réduire l’impôt; il n’aura droit qu’au crédit pour dividende. Une telle planification ne procure donc aucun avantage – pire, l’enfant pourrait payer plus cher que ce que le parent aurait payé en se versant le dividende.

FRACTIONNEMENT AVEC UN ENFANT MAJEUR OU LE CONJOINT

Comme des règles empêchent spécifiquement de recourir au fractionnement avec des mineurs, une autre stratégie permet de minimiser les impôts : le fractionnement avec un enfant majeur ou le conjoint.

Il est fréquent qu’un propriétaire ait recours à une fiducie familiale discrétionnaire actionnaire de la société et dont les enfants majeurs et le conjoint sont bénéficiaires. Ainsi, il est possible de leur attribuer des dividendes ou des gains en capital par l’entremise de la fiducie pour que chacun s’impose sur ces montants. Cette situation est avantageuse lorsque les revenus des enfants majeurs et du conjoint sont moins élevés que ceux du propriétaire. Toutefois, il faut s’assurer que la structure a été créée selon les règles, que toutes les sommes censées être distribuées aux enfants et au conjoint le soient effectivement, et que ces derniers aient le plein contrôle de l’argent reçu. Il arrive souvent que le propriétaire décide de recourir au fractionnement avec sa famille et, aussitôt que le dividende ou le gain en capital est payé aux enfants, le même montant retourne au compte du propriétaire. Cette pratique peut engendrer de graves conséquences : les autorités fiscales considèrent alors que le montant n’a jamais été distribué aux enfants. Tous les revenus seront donc réattribués au propriétaire initial de la société.

Le fractionnement de revenu peut constituer une planification avantageuse, mais il faut s’assurer de ne pas tomber dans les multiples pièges que nous réserve la Loi de l’impôt sur le revenu (LIR).

TRANSFERT INTERGÉNÉRATIONNEL D’UNE SOCIÉTÉ

L’intégration d’un enfant à l’actionnariat ne vise pas toujours le fractionnement : parfois, le propriétaire cherche à transmettre le fruit de son labeur et sa passion à la prochaine génération tout en gardant l’entreprise dans la famille.

DON DES ACTIONS

Dans certains cas où le propriétaire est assez fortuné et qu’il n’a pas besoin du produit de la vente des actions, il pourrait considérer faire don de ses actions à ses enfants. Bien que les enfants n’aient pas à payer pour ces actions, il faut rappeler au propriétaire que ce don aura une incidence sur ses impôts personnels.

En effet, selon la LIR, les actions sont réputées être disposées à leur juste valeur marchande (JVM). Un gain en capital sera réalisé pour l’excédent de la JVM sur le coût des actions : il faut donc s’assurer que le propriétaire des actions est conscient de cette disposition fiscale lors du don de ses actions. Cependant, si le don est effectué aux enfants personnellement et que les actions y sont admissibles, la déduction pour gains en capital pourra être demandée jusqu’à hauteur de 800 000 $. Les impôts résultant de la transaction pourraient donc être fortement diminués.

VENTE DES ACTIONS À SES ENFANTS

La situation la plus fréquente demeure toutefois celle d’un parent qui vend ses actions à ses enfants pour monnayer la valeur de ses actions et assurer sa retraite.

La vigilance est de mise dans ce type de transaction entre personnes liées : plusieurs règles fiscales font en sorte que le lien entre l’acheteur et le vendeur empêche de réduire les impôts à payer de manière plus importante que si la vente était effectuée à un tiers.

Une de ces règles exige que la transaction se fasse à la JVM. Il est important de bien documenter l’évaluation de l’entreprise : autrement, cette valeur pourrait être contestée par les autorités fiscales et les conséquences d’une modification sont assez coûteuses.

Dans une telle situation, le produit de disposition réputé du vendeur est égal à la JVM, mais le coût pour l’enfant qui a acquis les actions n’est pas réajusté. Il en résulte une double imposition puisque le coût pour l’acheteur n’est pas rajusté. Bien que l’exemption pour gains en capital puisse être réclamée par le parent si toutes les conditions le permettent, les actions de l’enfant auront un coût inférieur au produit de disposition réputé du parent. Afin d’éviter la double imposition, il est donc primordial que le parent ne vende pas ses actions au rabais à ses enfants.

L’article 84.1 de la LIR peut également avoir une incidence importante sur une transaction entre personnes ayant un lien de dépendance. Il s’applique, entre autres, lorsque les actions détenues personnellement par un parent sont vendues à des sociétés de gestion détenues par chacun des enfants.
Une telle structure de vente serait tout à fait logique puisqu’elle permettrait aux enfants de payer les actions acquises de leur parent avec de l’argent sur lequel seul l’impôt de la société a été payé.

Cependant, l’article 84.1 est une règle anti-évitement qui prévient la conversion de surplus imposables en retrait non imposable, et qui a pour effet de transformer le gain en capital en dividende. La règle s’applique lorsque la contrepartie autre qu’en actions excède le plus élevé du capital versé ou du prix de base rajusté (PBR) modifié des actions transférées. Ainsi, un dividende sera réputé avoir été versé par la société acheteuse pour un montant égal à cet excédent, ce qui peut avoir un effet majeur sur les impôts du parent.

Tout comme pour le fractionnement de revenu, le transfert intergénérationnel d’une société peut se révéler plus complexe que prévu. Il est donc essentiel que les propriétaires d’entreprise saisissent l’importance des conseils d’un professionnel en fiscalité pour les guider dans leur réorganisation.




Robert Leewarden
Benoit Besner

Robert Leewarden, CPA, CA, Pl. Fin., est associé chez Fauteux, Bruno, Bussière, Leewarden, CPA, s.e.n.c.r.l.

Benoit Besner, LL. M., est fiscaliste chez Fauteux, Bruno, Bussière, Leewarden, CPA, s.e.n.c.r.l.




• Ce texte est paru dans l’édition d’octobre 2014 de Conseiller. Il est aussi disponible en format PDF.
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