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Ils calculent les pas de vos clients, suivent leurs déplacements, analysent leur sommeil, enregistrent leurs fréquences cardiaques. Dans quelle mesure ces informations peuvent-elles affecter l’assurabilité? Et jusqu’où peuvent aller les assureurs dans la collecte d’information?

Le risque est au cœur de l’industrie de l’assurance et du contrat qu’elle propose. Son évaluation dépend de données et, ultimement, de leur interprétation.

Traditionnellement, c’est en amont du processus de souscription que les informations sont recueillies dans la déclaration initiale de risque. Mais cette réalité change avec les dispositifs numériques alors que la collecte d’information se fait en temps réel.

Pour qu’un risque soit assurable, il doit viser un événement qui est possible, futur et incertain. L’incertitude doit être présente pour parler d’assurance.

« Or, l’analyse de données recueillies par l’intelligence artificielle pourrait remodeler certaines sphères en assurance, notamment la notion d’incertitude », a affirmé Me Sébastien Lanctôt lors de l’événement ProLab CSF, organisé mardi par la Chambre de la sécurité financière. Ce dernier prend pour exemple les modèles d’analyse météo, qui discernent le risque de façon particulière en le rapprochant d’une certitude.

« Au chapitre de l’évaluation du risque, il y a certains cas où on se rapproche d’un ciblage de plus en plus précis avec les outils à la disposition des assureurs », signale-t-il.

DES RÈGLES AFFECTÉES PAR L’IA

Plusieurs règles du cadre normatif québécois pourraient être affectées par les données numériques et l’intelligence artificielle.

L’avocat rappelle qu’en vertu de l’article 2408 du Code civil du Québec, le preneur de la police d’assurance a l’obligation de procéder à sa déclaration initiale de risque et d’indiquer toutes les circonstances connues qui sont de nature à influencer un assureur dans l’évaluation du risque, et donc la décision d’accepter d’assurer.

Avec les données numériques, on pourrait considérer qu’un client pouvait avoir connaissance de certaines situations et procéder à des sanctions, juge-t-il.

« Ça, c’est capital! […] On pourra reprocher à un client de ne pas avoir déclaré quelque chose qu’il ignorait par ailleurs », insiste Sébastien Lanctôt.

UN SUIVI EN CONTINU

Citant le professeur David Noguéro, qui s’est penché sur les répercussions de l’intelligence artificielle sur le risque en assurance, Sébastien Lanctôt rappelle que le modèle actuel en assurance repose principalement sur l’information délivrée par son détenteur.

« Avec des instruments nouveaux, l’information peut être captée sans intermédiaire humain, puis sera ultimement analysée et exploitée », précise-t-il.

« Les dispositifs numériques peuvent saisir des éléments d’information pouvant signaler un changement dans le caractère assurable du risque », explique Sébastien Lanctôt. Qu’en est-il si l’assuré apprend, à la suite d’informations qui lui sont communiquées par un bracelet santé, qu’il présente certaines anomalies, par exemple liées à son rythme cardiaque ou à sa pression artérielle?

En assurance vie, une fois le contrat formé et en vigueur, il ne fait pas l’objet de modifications. « En principe, du moins », nuance l’avocat. Parce que l’assureur pourrait être tenté de modifier les modalités en cours de route grâce au suivi en continu rendu possible par les nouvelles technologies.

LA PREUVE DANS LE GPS

Me Lanctôt raconte l’histoire d’un homme qui aurait été déclaré coupable du meurtre de sa fille grâce aux données recueillies dans le GPS de sa voiture, soulevant la question de l’utilisation de ces dispositifs comme élément de preuve, dans ce cas-ci, l’emplacement d’une personne.

« Le temps des témoins oculaires n’est certes pas révolu, mais avec les nouvelles technologies, on voit arriver des possibilités plus larges de preuve », résume l’avocat.

L’assurance se rapproche-t-elle d’un monde orwellien? Pas encore. Des balises ont été érigées en lien avec la vie privée, rappelle Me Lanctôt. Ainsi, la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information prévoit qu’on ne peut exiger qu’une personne soit liée à un dispositif permettant de savoir où elle se trouve.

DES DONNÉES PROTÉGÉES?

La collecte et l’utilisation potentielle en temps réel des informations recueillies par les outils télématiques qui ont investi le secteur de l’assurance pourraient mener à l’augmentation de la prime, voire la résiliation du contrat.

La nature des informations qui peuvent être emmagasinées à l’aide de ces dispositifs est également surprenante. Par exemple, l’Apple Cycle Tracking permet aux femmes d’enregistrer des informations concernant leur cycle menstruel et d’anticiper leurs prochaines périodes de fertilité. Ces dispositifs soulèvent des questions liées aux données. Pas seulement le fait que ces appareils les captent, mais qu’ils peuvent les emmagasiner et les transmettre.

« On parle beaucoup de l’endroit où on va stocker l’information. On envoie ça dans l’infonuagique. Mais dans quelle juridiction? Sur quel type de serveurs? Et qui a accès aux données? » demande l’avocat.

L’INFORMATION GÉNÉTIQUE

La nature très particulière des renseignements recueillis à l’aide de ces dispositifs fait écho à un autre débat : celui sur l’information génétique.

En 2017, le Canada adoptait la Loi sur la non-discrimination génétique. Avant sa mise en place, deux courants de pensée s’opposaient à propos de l’accessibilité et l’utilisation de l’information génétique par les assureurs. Selon la première philosophie, cette situation ne poserait pas de problème, car le marché va s’ajuster. La seconde évoquait plutôt la crainte d’une hausse des prix.

Imaginons que des personnes ont accès à leur profil génétique. Celles présentant un très bon profil pourraient décider de ne pas s’assurer. Ces « bons risques » se retirant, les prix augmentent. Et les « meilleurs des moins bons risques », considérant l’augmentation des coûts, pourraient décider eux aussi de ne pas s’assurer, ce qui ferait exploser les prix en assurance.

« Avec l’intelligence artificielle, on arrivera à un degré important d’information nous concernant, assure Me Lanctôt. Imaginez si vous pouviez avoir accès à votre profil génétique qui vous indiquerait exactement le moment de votre mort : dans 14 ans, 20 ans, 15 jours? Très certainement, on approcherait les REER de façon très différente! » ironise l’avocat.