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Les nouvelles règles fiscales adoptées par Ottawa et Québec concernant la fiscalité des sociétés privées ont fortement réduit la pertinence pour les professionnels de s’incorporer. Mais pour ceux qui ont déjà adopté une telle structure, vaut-il mieux conserver la société, ou au contraire, la liquider?

En règle générale l’incorporation d’une entreprise personnelle permet au propriétaire de profiter de plusieurs bénéfices fiscaux, par exemple, capitaliser une partie de ses revenus dans sa société ou encore envisager de vendre sa société et réaliser un gain en capital. La possibilité pour le propriétaire de fractionner son revenu ne fait toutefois plus vraiment partie de la liste des avantages.

« Depuis 2009-2010, il y a eu chez certains professionnels une forte pression des pairs pour s’incorporer. Tout le monde le faisait sans trop se poser de questions. Mais ce n’est pas toujours la voie à privilégier, surtout depuis l’adoption de nouvelles règles fiscales plus contraignantes », a expliqué Sylvain Chartier, planificateur financier et fiscaliste à Banque Nationale Gestion privée 1859 lors du Congrès 2018 de l’Institut québécois de planification financière (IQPF).

Le formateur a pris l’exemple de Louise, une avocate de 45 ans qui s’est incorporée suivant les conseils de confrères juristes. Jusqu’à récemment, elle pouvait fractionner son revenu de dividendes avec son conjoint Simon, dont le revenu est sensiblement inférieur.

Rappelons que le fractionnement consiste à partager entre les membres d’une même famille le revenu afin de bénéficier des taux d’imposition progressifs et ainsi réduire la facture fiscale. Mais des mesures mises en place en 2017 par le gouvernement fédéral ont eu pour effet d’interdire une telle pratique, sauf pour les personnes suivantes :

  • Le conjoint du propriétaire de l’entreprise, à condition que le propriétaire soit âgé de 65 ans ou plus et qu’il ait apporté une contribution importante à l’entreprise.
  • Les adultes âgés de 18 ans ou plus qui ont apporté une contribution importante de main-d’œuvre (au moins 20 heures par semaine en moyenne) à l’entreprise pendant l’année, ou au cours des cinq années antérieures.
  • Les adultes âgés de 25 ans ou plus qui détiennent au moins 10 % d’une société qui tire moins de 90 % de son revenu de la prestation de services et qui n’est pas une société professionnelle.

En résumé, les nouvelles règles adoptées par Ottawa excluent toute possibilité pour les propriétaires de société professionnelles de fractionner leur revenu avec des membres de leur famille. Louise ne pourra donc plus fractionner ses revenus de dividendes avec son conjoint Simon, ce qui réduit grandement l’intérêt de conserver sa société.

À noter que le budget du Québec 2018-2019 a annoncé l’harmonisation de ces mesures au palier provincial.

FINI, l’ACCÈS À LA DPE

Les restrictions quant au fractionnement du revenu ne sont pas la seule tuile à s’être abattue sur la tête de Louise. Au niveau provincial, le gouvernement a resserré l’accès à la déduction pour petite entreprise (DPE) pour les sociétés comptant peu d’employés.

Règle générale, une société qui, tout au long de l’année, était une société privée sous contrôle canadien peut avoir droit à la DPE. La société bénéficie ainsi d’une réduction du taux d’imposition de 3,9 % sur la première tranche de 500 000 $ de revenu généré.

Cependant, pour freiner la tendance à l’incorporation, Québec a ajouté un nouveau critère que les sociétés doivent remplir pour bénéficier de cet avantage fiscal. Depuis 2017, une entreprise doit rémunérer 5 500 heures par année à ses employés pour être admissibles à la DPE. À noter qu’un maximum de 40 heures par semaine par employé est considéré.

« Bref, il n’est plus possible pour les professionnels incorporés d’avoir accès à la DPE », indique Sylvain Chartier.

Dans l’ensemble, Louise a perdu les principaux avantages fiscaux liés à son incorporation. Mais comme son conjoint Simon est comptable et qu’il s’occupe bénévolement des aspects financiers de l’entreprise, Louise a peu de frais liés au maintien de sa société. Il ne faut pas non plus perdre de vue que la disposition de biens lors d’une éventuelle liquidation de la société générerait également une facture fiscale.

Dans le cas de Louise, conserver la société est donc une possibilité envisageable, mais ce n’est pas toujours le cas. À la suite du resserrement des règles fiscales, il est primordial pour les professionnels de réévaluer la pertinence d’exercer leurs activités par l’entremise d’une société par action, soutient Sylvain Chartier.

SALAIRE OU DIVIDENDE?

Puisque Louise n’a plus droit à la DPE, la question à savoir s’il est préférable pour elle de se verser une rémunération sous forme de salaire ou de dividendes refait surface.

« Lorsqu’une société ne peut demander la déduction pour petite entreprise au Québec, il est suggéré de verser un salaire plutôt que des dividendes pour acquitter le coût de vie annuel », tranche Sylvain Chartier

En plus d’amoindrir sa facture fiscale, le versement d’un salaire permettra à Louise de cotiser au Régime de rentes du Québec, et d’ainsi bonifier son revenu à la retraite. « Il s’agit d’un aspect souvent négligé dans le débat salaire-dividende », estime M. Chartier.