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L’homme d’affaires montréalais Éric Weynant comparaît cette semaine devant la Cour du Québec. L’Autorité des marchés financiers le poursuit pour 41 chefs d’accusation relatifs à des placements illégaux. Conseiller a pourtant appris que rien n’arrête le dirigeant de l’entreprise fantôme Phasoptx : c’est en Europe et en Asie qu’il continue de persuader d’autres personnes de l’aider à fabriquer un produit dont il promet la concrétisation… depuis 16 ans.

En juin 2014, Conseiller révélait qu’Éric Weynant était parvenu à soutirer des dizaines de millions à des particuliers, pour la plupart québécois, en usant de ce qui s’apparentait à un stratagème frauduleux, selon l’expert en criminalité financière Messaoud Abda. Rappelons qu’au début des années 1990, Éric Weynant avait déjà lancé une entreprise du genre en France. L’affaire s’était soldée par une faillite, sans qu’aucun produit ait été mis en marché.

Or, selon plusieurs sources, Éric Weynant a pu poursuivre son stratagème d’appropriation de fonds… et utiliser l’argent acquis jusqu’à présent. En effet, l’Autorité n’a pas demandé à bloquer les actifs de M. Weynant, bien qu’elle aurait pu le faire. « Dans ce dossier, nous n’avons pas opté pour cette avenue », commente laconiquement Sylvain Théberge, porte-parole de l’AMF.

Depuis deux ans donc, M. Weynant continue de faire miroiter son projet de « connecteur de fibre optique » à plusieurs gens d’affaires basés en Europe et en Asie, a appris Conseiller.

Conformément à sa méthode éprouvée au Québec, M. Weynant a contacté des manufacturiers européens par l’intermédiaire de connaissances communes. Malgré un comportement qu’un de ces partenaires potentiels qualifie de « narcissique » et « mal élevé », Éric Weynant, grâce à son éloquence, a réussi à convaincre plusieurs organisations de contribuer à la mise sur pied d’une entreprise destinée à fabriquer son « invention ».

Mais, dernièrement, au moment de conclure l’affaire, M. Weynant aurait opéré une brusque marche arrière, rompant toute discussion. « Il parle très bien de son produit, mais il n’est pas capable de le réaliser », confie une source en Europe qui a souhaité conserver l’anonymat.

DES PROMESSES RESTÉES SANS SUITE

Durant ses déplacements en Europe, qui auraient débuté en 2015, M. Weynant aurait bénéficié des largesses de ses hôtes, se faisant inviter au restaurant et à l’hôtel, et faisant travailler ses partenaires sans autre contrepartie que des promesses de rémunération ultérieure… demeurées sans suite. « Il ne paie jamais sa part. Il a passé des jours entiers à se vanter et à vendre son concept, en profitant des personnes qui le recevaient », souligne un témoin des agissements de M. Weynant.

Après avoir rompu brusquement les négociations avec ses contacts européens l’an passé, Éric Weynant se serait tourné vers le marché asiatique. Selon plusieurs sources, il serait aidé dans sa démarche par Georges Vacher, cofondateur d’Air Transat et porte-parole d’Éric Weynant depuis trois ans. M. Vacher n’a pas répondu à notre demande d’entrevue.

41 CHEFS D’ACCUSATION

Mais revenons à Montréal et au procès qui s’est ouvert lundi. Éric Weynant a vendu des millions d’actions de son entreprise Phasoptx, fondée en 2001, en infraction avec la Loi sur les valeurs mobilières, soutiendra l’Autorité devant la Cour du Québec. Le défendeur est poursuivi pour 41 chefs d’accusation, soit pratique illégale (neuf chefs), démarchage illégal (cinq chefs), aide au placement sans prospectus (21 chefs) et transmission d’informations trompeuses (six chefs). M. Weynant a plaidé non coupable à tous ces chefs d’accusation.

Il aurait recruté 160 investisseurs, sans remplir ses obligations d’établir un prospectus, alors que celui-ci est indispensable dès que 50 personnes investissent. Il aurait aussi donné des informations fallacieuses à l’effet que sa compagnie serait sur le point d’être vendue, alléchant ainsi les investisseurs.

Il aurait également assuré que l’entreprise Phasoptx détenait les brevets nécessaires à la mise en marché de sa présumée invention. Pourtant, ces supposés brevets étaient détenus par une autre entreprise appartenant à M. Weynant, mais complètement étrangère au contrôle des investisseurs.

LES AMIS DE VOS AMIS SONT SES AMIS

Au total, M. Weynant aurait placé plus de 30 millions d’actions pour un capital-actions de 11 569 549 $, selon la preuve déposée par l’Autorité. Malgré cette collecte, il n’a jamais mis en marché le moindre produit. Son ambition affichée était de commercialiser un connecteur de fibre optique utilisant un alliage à mémoire de forme.

Pour lever des fonds, M. Weynant a rencontré des investisseurs potentiels par l’intermédiaire de connaissances référées de bouche-à-oreille entre 2002 et 2009, selon la preuve déposée par l’Autorité. Il affirmait alors que son entreprise était sur le point d’être vendue. Il offrait des blocs d’actions à un cours compris entre 0,01 $ et 1,50 $ chacune, en assurant que la vente de Phasoptx s’effectuerait au prix de 10 $ six mois plus tard.

Plusieurs actionnaires de Phasoptx vantent l’éloquence de M. Weynant, capable de « vendre un congélateur à un esquimau ». La preuve recueillie par l’Autorité cite le témoignage de Pierre Viau, un médecin qui a investi dans Phasoptx. « Weynant a fait de la fausse représentation en disant que la compagnie valait une fortune, que c’était un produit exceptionnel puis qu’on aurait dix fois la mise », peut-on lire dans le dossier déposé par l’Autorité en vue du procès.

FAUX INGÉNIEUR

M. Weynant se présentait auprès des investisseurs potentiels comme un expert en fibre optique et en matériau à mémoire de forme. Notons que sur deux affidavits qu’il a signés le 31 janvier 2017 et le 6 février 2017 pour être présentés devant la Cour du Québec, Éric Weynant se prévaut du titre d’ingénieur. Or, après vérifications, Éric Weynant n’est pas et n’a jamais été membre de l’Ordre des ingénieurs du Québec (OIQ), a indiqué cet organisme à Conseiller.

« En vertu de l’article 22 de la Loi sur les ingénieurs et de l’article 32 du Code des professions, M. Weynant ne peut donc pas utiliser au Québec le titre d’ingénieur, ni poser des gestes qui sont réservés aux ingénieurs en vertu de la loi », précise l’OIQ.

DES NOMS CONNUS DU QUÉBEC INC.

Contacté par Conseiller, un ancien employé de Phasoptx assure que le concept vanté par Phasoptx était intéressant, mais qu’Éric Weynant ne visait qu’à vendre des actions de l’entreprise, sans porter suffisamment d’efforts pour qu’un produit puisse être commercialisé.

M. Weynant savait aussi hausser la crédibilité de son projet en ralliant des investisseurs reconnus au capital-action de son entreprise. Le CA de Phasoptx a par exemple été présidé durant cinq ans par Franklin Delaney, aussi président du CA du Fonds Québecor, ancien conseiller du président de Radio-Canada Pierre Juneau, ancien président de TQS, Officier de l’Ordre des Arts et des Lettres de la France. Aujourd’hui, M. Delaney ne se fait plus d’illusions. « Je ne reverrai jamais mon argent », lâche celui qui aurait acquis 600 000 actions de Phasoptx.

Louis Gignac, président du CA de Gaz Metro, s’est quant à lui laissé convaincre d’acquérir 160 000 actions à 1,50 $ chacune. M. Gignac a démissionné du CA de Phasoptx moins d’un an après son arrivée, après avoir constaté le manque d’états financiers, des irrégularités et « le gros égo » de M. Weynant, comme l’indique le dossier de preuve déposé en cour par l’Autorité.

Camilio Gentile, ancien vice-président de la firme de vêtements Gildan, a également été administrateur de Phasoptx. Il a investi dans 199 000 actions de l’entreprise, soit près de 300 000 $. Depuis, M. Gentile a quitté le CA de Phasoptx. « Il y avait trop de choses difficiles à vérifier, explique-t-il. Il était devenu très clair qu’il y avait des menteries. »

Parmi les actionnaires actuels de Phasoptx, on trouve des spécialistes de la fibre optique, dont l’Institut national d’optique (INO), une firme privée qui avait acquis 930 000 actions. Plusieurs investisseurs de Phasoptx disent avoir vu dans la participation de l’INO un gage du sérieux de l’entreprise. L’INO n’a pas répondu à notre demande d’entrevue.

Une bonne partie des investisseurs étaient aussi des médecins – une clientèle recrutée par l’ex-conseiller Jacques-André Thibault, radié depuis pour une durée de 11 ans par le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière –, et bon nombre de particuliers fortunés issus du Québec inc., mais aussi d’Europe.

« MALHONNÊTE ET MENTEUR »

Certains investisseurs accusent aussi M. Weynant d’avoir « vécu sur leur argent ». Une ancienne employée de Phasoptx, Janet Peace, décrit Éric Weynant comme « malhonnête et menteur », dans le dossier de preuve de l’Autorité. Recrutée comme consultante chez Phasoptx – mais aussi comme actionnaire –, Mme Peace dit avoir « reconnu un phénomène très courant à savoir que le monsieur est en amour avec sa technologie », tout en mentionnant que, pour elle, « l’encan visant la vente de Phasoptx était une fraude ». M. Weynant lui aurait indiqué n’avoir jamais eu l’intention de vendre la compagnie.

Parmi les actionnaires de Phasoptx, on compte aussi le propre avocat d’Éric Weynant, celui-là même qui le défendra au palais de justice de Montréal face aux accusations de l’Autorité. Me Noël Saint-Pierre est en effet détenteur de 195 000 actions de Phasoptx, offertes en contrepartie de services professionnels, il y a plus de dix ans.

COMME VINCENT LACROIX

Plusieurs actionnaires de Phasoptx espèrent désormais que l’entreprise se mette en faillite, afin de pouvoir déclarer leurs pertes au fisc. Ceux-ci se disent même étonnés que la faillite n’ait pas encore eu lieu.

Pour l’expert en criminalité financière Claude Mathieu, le dirigeant de Phasoptx n’a pas forcément intérêt à mettre l’entreprise en faillite. « S’il le fait, il devra liquider ses actifs, explique ce professeur responsable du programme de lutte contre la criminalité financière à l’Université de Sherbrooke. Il ne pourra plus aller chercher des financements. »

Claude Mathieu n’hésite pas à comparer Éric Weynant à Vincent Lacroix : « Comme lui, il exerce un fort contrôle de l’information et une forte capacité à influencer les gens, même les plus éduqués. Il sait créer un grand intérêt, jusqu’à un fort enthousiasme, même. Lorsque les gens sont excités, ils ont tendance à perdre leur défenses psychologiques. C’est à ce moment qu’ils deviennent vulnérables et perdent toute rationalité. Les fraudeurs aguerris le savent et l’exploitent trop souvent. »