everythingpossible / 123RF

Vous le saviez? L’Autorité a émis un avis pour expliquer aux représentants et conseillers comment elle interpréterait dorénavant le Règlement sur l’exercice des activités des représentants dans la Loi sur la distribution de produits et services financiers. Cet avis, entré en vigueur le 22 octobre2013, est passé sous le radar. Vous avez pourtant intérêt à le lire.

Comme le rapportait notre expert blogueur Daniel Guillemette, l’AMF a décidé de se prononcer sur certains articles de ce règlement. On y traite des occupations incompatibles avec celle de conseiller (articles 2 et 3), de disponibilité et de diligence (article 4), de l’ABF du client (article 6), du mandat et des recommandations du représentant en assurance collective (articles 8 et 9), du remplacement de polices (articles 18 à 27) et des fameuses mesures incitatives (article 5).

C’est ce dernier point qui mérite notre attention. Voici comment l’AMF définit les mesures incitatives dans le contexte de la distribution de produits financiers : (…) des concours ou des promotions comportant des avantages qui pourraient l’inciter à conseiller ou à effectuer une vente qui ne répondrait pas aux besoins particuliers de ses clients.

L’AMF stipule que le représentant ne peut y participer directement ou indirectement dans le cadre de ses activités professionnelles. Elle reconnaît que ces concours sont généralement organisés par des assureurs, des cabinets, des sociétés autonomes et que ces derniers ne peuvent adopter ce genre de mesures incitatives susceptibles d’avoir une influence sur les obligations d’un conseiller au détriment du client.

Yves Bonneau, rédacteur en chef du magazine Conseiller.

On pourrait dès lors féliciter l’organisme de réglementation d’avoir enfin statué sur cette délicate question des « concours de vente », mais la suite de l’avis sur l’article 5 laissera perplexe le plus aguerri des directeurs de la conformité. D’abord, on y explique que le terme « mesure incitative » doit être interprété dans son sens le plus large et qu’il vise toute forme d’avantage incluant cadeaux, privilèges, promotions et autres concours, sans que cette liste soit exhaustive. Le message du régulateur paraît clair : vendre des produits et des services financiers, ce n’est pas comme vendre des bagnoles ou des électroménagers. Et pourtant, on s’empresse de faire volte-face au paragraphe suivant : Dans le contexte du Règlement, le terme «mesure incitative» exclut cependant les programmes de rémunération.

La position de l’AMF sur l’article 5 est plutôt nébuleuse sur ce point : (…) les articles sur les mesures incitatives s’appliquent spécifiquement aux incitatifs en périphérie de la rémunération habituelle (honoraires, salaire, commission, bonus) d’un représentant. Or qu’est-ce qu’un programme de rémunération pour la grande majorité des représentants? Ce sont les honoraires, le salaire, les commissions, les bonus ou les bonis de performance.

Pour l’AMF, donc, les incitatifs en périphérie de la rémunération habituelle sont ce que la plupart des institutions financières considèrent comme des programmes de rémunération! Serait-ce une entourloupette interprétative pour favoriser la grande entreprise?… Cela fait dire à Daniel Guillemette que l’Autorité crée deux catégories de conseillers dans le réseau de distribution : ceux qui pourront recevoir des primes en plus de leur salaire après avoir vendu x parts de fonds communs par exemple, et ceux qui sont indépendants, souvent rémunérés à la commission, qui n’auront pas droit à ces récompenses pécuniaires.

Déjà en mars 2007, le RICIFQ soulevait ces questions de probité et demandait à l’AMF de formuler une opinion réglementaire sur certaines pratiques commerciales qui, à son avis, pouvaient aller à l’encontre des intérêts des consommateurs. On se serait attendu à ce que l’Autorité émette une opinion claire sur le sujet depuis ce temps. Ça ne semble pas être le cas.

Et que saisir des autres questions soulevées par le RICIFQ, tout autant prépondérantes pour l’intérêt de l’épargnant? Que dire du représentant dont le courtier ou l’employeur exige un quota en commissions brutes à défaut de quoi il risque le congédiement ou la terminaison de son contrat? Un représentant pourrait alors effectuer des opérations inutiles dans les comptes des clients et à leurs frais pour sauver son emploi.

Que penser du comportement de certains courtiers provenant des réseaux à grande convergence (ex. : Valeurs Mobilières ABC, filiale de la Banque ABC) qui offrent des incitatifs très importants à des représentants de réseaux concurrents dans le but de les débaucher? Ces « incitatifs », qui peuvent atteindre le million de dollars, s’accompagnent-ils pour le transfuge d’une interdiction morale, verbale ou même contractuelle de mousser les produits internes au détriment de son indépendance et à l’encontre de l’intérêt du client?

Que voir également dans les modes de rémunération qui favorisent les produits maison de la firme par un partage plus avantageux des commissions brutes sur la vente de ces derniers par rapport à celle d’autres produits comparables? Il y a aussi les programmes d’actions et d’options offerts aux représentants des grandes firmes pour attirer ou retenir ceux-ci. Cela les incite-t-il à proposer des produits maison à plus forte rentabilité pour l’employeur et pour eux-mêmes, qui participent indirectement aux bénéfices de l’entreprise?

De même, dans certains grands réseaux d’assurances, on accorde une reconnaissance et une compensation préférentielles à toutes les ventes de produits internes (jusqu’à deux fois et demie plus élevées que pour un produit comparable), sans que le régulateur ne se soucie de baliser ces activités possiblement problématiques.

Qui plus est, ces pratiques d’affaires sont des créations des manufacturiers essentiellement mises en place pour favoriser avant tout leur commerce. Pourquoi alors revient-il uniquement au conseiller de décider de ce qui est éthique ou non, alors que les organismes de réglementation tolèrent tout cela malgré le sérieux potentiel de dérive?

L’avis d’interprétation émis par l’AMF en juillet dernier ne répond à aucune de ces questions, n’impose aucune règle aux employeurs et aux entreprises convergentes et, malheureusement, laisse le conseiller se dépêtrer avec des situations éthiques épineuses qui sont avant tout du ressort de l’industrie.

Yves Bonneau, rédacteur en chef

Cet article est tiré de l’édition de janvier de Conseiller.