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À l’heure où l’après-Brexit plonge l’économie et les marchés « dans une incertitude considérable », on peut s’attendre à ce que certaines grandes banques centrales interviennent, indique une étude publiée vendredi par Desjardins.

Après avoir abordé dans une récente analyse la réaction initiale des investisseurs au choc de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE), Desjardins dépeint cette fois l’état de la situation pour la Banque d’Angleterre (BoE), la Banque centrale européenne (BCE), la Réserve fédérale (Fed) et la Banque du Canada (BdC).

Le principal résultat du Brexit, « événement à fort potentiel déstabilisateur sur les marchés financiers », est « l’injection d’une dose considérable d’incertitude, dans un contexte qui était pourtant déjà très fragile », ce qui, pour les banques centrales, entraîne « de sérieux questionnements », notamment par rapport à l’expérience des taux négatifs, estime d’emblée l’auteur de l’étude, Jimmy Jean, économiste principal au Mouvement.

AU ROYAUME-UNI

LA BoE DEVRAIT ADOPTER UNE APPROCHE PROACTIVE
C’est au Royaume-Uni que l’issue du référendum sera la plus lourde de conséquences pour la conduite de la politique monétaire, souligne l’analyste, qui rappelle que jusqu’au jour du vote, les institutions tant britanniques qu’internationales avaient annoncé que le Brexit aurait des conséquences négatives importantes sur l’économie du pays.

Ainsi, le Trésor britannique jugeait qu’une sortie de l’UE diminuerait le produit intérieur brut (PIB) de 3,6 % à 6 % sur un horizon de deux ans, tandis que l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) anticipait un retranchement de 3,3 % d’ici la fin de la décennie.

Le défi pour la BoE est aujourd’hui de « trouver une façon de stimuler adéquatement l’économie britannique », sachant que son taux directeur principal se situe encore au niveau qu’elle avait déterminé comme étant le plancher lors de la crise financière, soit 0,50 %, note Jimmy Jean.

PAS D’ENTRÉE EN TERRITOIRE NÉGATIF
Or, « l’avènement de politiques de taux négatifs dans plusieurs régions du monde a fait sauter la notion d’un plancher obligatoirement au-dessus de zéro », relève-t-il. Dès 2013, la banque centrale britannique avait indiqué ne pas voir d’obstacles à faire passer son principal taux directeur en territoire négatif, tout en avertissant que le maintien d’un taux inférieur à -0,50 % pour une période prolongée risquait d’inciter les déposants à retirer leurs liquidités.

Selon Jimmy Jean, « une entrée en territoire négatif serait toutefois surprenante dans le cas du Royaume-Uni », car les dirigeants de la BoE se disent depuis longtemps inquiets de l’effet pénalisant sur la profitabilité des banques d’une telle politique. « Les banques britanniques sont déjà au cœur d’une incertitude de nature systémique, elles qui pourraient voir de lucratifs revenus sur les activités de compensation financière glisser entre leurs mains si le pôle financier européen s’établissait ailleurs qu’à Londres. Le moment serait ainsi mal venu pour une politique nuisible à la profitabilité des banques. »

Le scénario le plus plausible est « celui d’une réduction des taux directeurs, possiblement à près de zéro, accompagnée d’une nouvelle vague d’assouplissements quantitatifs », croit l’analyste de Desjardins.

DANS L’UNION EUROPÉENNE

LA BCE DEVRA FAIRE PREUVE DE CRÉATIVITÉ
« Les marchés financiers européens ont été touchés autant, sinon plus, qu’au Royaume-Uni » tandis que les indices boursiers du Vieux Continent « ont réagi aussi violemment au résultat du référendum que l’indice britannique », observe Jimmy Jean, qui prévoit que « les effets du Brexit sur l’économie britannique pénaliseront une croissance européenne déjà fragile ».

Le Royaume-Uni est la destination première des exportations de l’UE, en particulier la Norvège, l’Irlande, la Belgique et les Pays-Bas, rappelle-t-il. Or, « en plus de la demande plus faible pour des biens européens résultant du choc économique, la forte dépréciation de la livre par rapport à l’euro rendra ces biens encore moins attrayants du point de vue des Britanniques ».

Résultat, l’OCDE anticipe un manque à gagner de 1 % en PIB réel d’ici à 2020 pour l’Union. Dans un tel contexte, « la BCE pourrait ressentir le besoin d’en faire davantage pour appuyer son économie », même si sa tâche risque de « s’avérer compliquée étant donné une politique monétaire déjà à bout de bras », écrit l’analyste.

PAS D’AUTRE BAISSE DU TAUX SUR LES DÉPÔTS
La BCE a instauré une politique de taux de dépôt négatifs en 2014 et a récemment élargi son programme d’achat de titres pour y inclure des obligations de société, rappelle Jimmy Jean. Toutefois, cette approche ayant donné peu de résultats jusqu’à maintenant, « il serait surprenant que la BCE ajoute de l’huile sur le feu en abaissant davantage le taux sur les dépôts, de son niveau actuel de -0,40 % ».

Par conséquent, « il semble plus probable qu’elle décalera de nouveau la fin prévue du programme d’achat de titres, actuellement établi à mars 2017 ». Elle pourrait aussi « de nouveau bonifier la quantité mensuelle de titres qu’elle acquiert (80 milliards d’euros) », même si pour cela « elle devra vraisemblablement ajuster sa politique de répartition ».

« Certaines spéculations font état de la possibilité de modifier la méthode de répartition des achats d’obligations souveraines afin qu’elle soit déterminée selon la taille relative de l’encours de la dette de chaque pays, plutôt que selon la part des pays dans la souscription au capital de la BCE », ajoute l’économiste.

L’avantage? « Cela permettrait que les achats s’orientent davantage vers les obligations des pays de la périphérie, comme l’Italie, l’Espagne et le Portugal, là où une réduction des coûts d’emprunt peut encore avoir un effet bénéfique. »

AUX ÉTATS-UNIS

AUCUNE INCIDENCE DIRECTE MAJEURE
Les effets du Brexit sont « beaucoup moins menaçants » aux États-Unis qu’en Europe, assure Jimmy Jean, qui observe qu’entre 2011 et 2015, seules 3,5 % des exportations américaines ont pris la direction du Royaume-Uni. Comme nos voisins du Sud exportent près de 15 % de leurs produits dans l’UE, des ralentissements en Grande-Bretagne et sur le Vieux Continent « ne devraient donc pas avoir d’incidences directes majeures sur les perspectives de croissance américaines ».

Les experts de l’autre côté de la frontière estiment qu’il est encore tôt pour évaluer les effets du vote sur l’économie américaine, même si « les dirigeants semblent relativement confiants quant à un scénario de base où les répercussions négatives du Brexit seront limitées », poursuit l’économiste.

Malgré tout, « la probabilité d’un scénario alternatif caractérisé par d’importants effets de contagion semble assez élevée pour requérir une certaine vigilance », notamment de la part de la Fed, « qui est tout particulièrement consciente du risque accru de volatilité financière dans l’après-Brexit, tant qu’il n’y aura pas plus de clarté pour la suite des choses au Royaume-Uni », ajoute Jimmy Jean.

Dans ce contexte, et avec la prochaine élection d’un nouveau président aux États-Unis, l’analyste « voit mal la Fed en arriver à un état d’esprit lui permettant de poursuivre la normalisation de sa politique monétaire en toute confiance cette année ». Il estime désormais qu’elle patientera « jusqu’à mars 2017 » avant de décréter sa prochaine hausse de taux directeurs.

AU CANADA

PROCHAINE HAUSSE DE TAUX : AVRIL 2018
Contrairement à leurs homologues de la Réserve fédérale, les dirigeants de la BdC se sont montrés plutôt avares de commentaires au sujet du référendum du 23 juin. Trois jours avant sa tenue, le gouverneur Stephen Poloz s’est contenté d’affirmer qu’un éventuel retrait du Royaume-Uni de l’UE poserait de nouveaux risques à l’échelle mondiale, ce qui pourrait conduire la banque centrale à modifier ses prévisions.

Celle-ci devrait en dire davantage demain, le 13 juillet, lorsqu’elle présentera son nouveau scénario économique et publiera son Rapport sur la politique monétaire. « Il serait toutefois surprenant de voir de grands ajustements au scénario économique canadien strictement liés au Brexit », indique l’analyste de Desjardins. Dans son rapport précédent, publié à la mi-avril, l’institution avait énuméré cinq risques, et une victoire des eurosceptiques n’en faisait pas partie.

La raison en est que « l’économie canadienne est peu exposée à l’Europe, acheminant 3,4 % de ses exportations au Royaume-Uni et 4,3 % en UE, contrairement à près de 75 % qui prennent la direction des États-Unis ». Bien que l’économie canadienne soit fragilisée par la récente crise du secteur des ressources naturelles et par les perturbations dues aux feux de forêt de Fort McMurray, « le Brexit ne change pas la donne au point d’exiger de nouveaux assouplissements monétaires ».

Conclusion de Jimmy Jean : « La normalisation des taux au Canada n’est pas pour bientôt. Au même titre que le Brexit incitera la Fed à plus de patience, […] nous croyons que la BdC restera sur les lignes de côté pour longtemps » et qu’elle attendra « à avril 2018 avant de décréter sa prochaine hausse de taux ».

Afflux de demandes de comptes en devises étrangères pour HSBC

La Banque HSBC peine à répondre à un flot de demandes pour l’ouverture de comptes en devises étrangères de la part de clients britanniques paniqués par l’après-Brexit, rapporte Bloomberg.

L’engouement pour ce type de compte est tel que le délai d’attente atteint de 10 à 15 jours, indique à l’agence Jenna Brown, une porte-parole de l’institution financière, dont le siège social se trouve à Londres. « Nous avons récemment constaté un net regain d’intérêt pour nos comptes en devises étrangères et nous continuons à accepter de nouvelles demandes », ajoute-t-elle.

HSBC propose des comptes dans 14 devises, dont l’euro et le dollar américain, ce qui permet aux clients de convertir leur argent à des taux d’échange du marché.