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Si moderniser la loi était nécessaire, a reconnu Gino Savard, premier vice-président de la CSF, à la Commission des finances publiques de l’Assemblée nationale, permettre « à n’importe qui » de donner des conseils en assurance, d’abandonner l’encadrement professionnel et d’abolir un organisme professionnel voué à la protection du public serait « une décision risquée et imprudente. »

Les consultations sur le projet de loi 141, qui prévoit notamment d’abolir la CSF, ont continué mercredi avec la présentation de la présidente et chef de la direction de la Chambre de la sécurité financière (CSF), Marie Elaine Farley.

Accompagnée de Me Stéphane Rousseau, administrateur indépendant de la Chambre, de Gino Savard, également président d’un cabinet de services financiers, ainsi que de Me Marc Beauchemin, avocat, la dirigeante a livré son point de vue en se demandant si les consommateurs seraient bien protégés avec ce texte.

Rappelant que la CSF est un organisme d’autoréglementation encadrant « plus de 32 000 professionnels qui conseillent le public en épargne collective, en assurance de personnes, en assurance collective de personnes, en plans de bourses d’études et en planification financière », Marie Elaine Farley a souligné que la mission de l’organisme qu’elle préside consistait à « assurer la protection du public, par la formation, la déontologie et la discipline de [ses] membres ».

« APPROCHE DE PRÉVENTION ET DE PROTECTION »

« Notre modèle s’apparente à celui des ordres professionnels et notre approche en est une de prévention et de protection, comme l’a décidé le législateur lors de notre création en 1998 », a-t-elle déclaré, ajoutant que l’éventuelle adoption du projet de loi bouleverserait le paysage financier québécois, notamment dans le secteur de l’assurance (voir l’encadré). La raison? « Cela mettrait fin à un encadrement d’autoréglementation multidisciplinaire fondé sur la contribution et la participation des membres. »

Gino Savard lui a ensuite succédé pour décrire « comment le projet de loi 141 affectera négativement les consommateurs », qui seront « laissés à eux-mêmes dans cette jungle très complexe que sont les services financiers ».

« C’est la première fois en 20 ans qu’on modifie des règles au profit des institutions financières et au détriment des consommateurs, a poursuivi le conseiller. N’importe qui, sans obligations déontologiques et sans imputabilité professionnelle, pourrait conseiller les consommateurs sur leurs besoins ou fournir des conseils en assurance pour faciliter la vente sur Internet. On déréglemente donc pour que le conseil en assurance ne soit plus l’exclusivité des spécialistes certifiés. »

« LE GRAND PERDANT SERA LE CONSOMMATEUR »

« Dans le régime actuel, a également rappelé Gino Savard, le consommateur peut compter sur l’expertise d’un conseiller encadré par la Chambre qui peut perdre son droit de pratique s’il ne respecte pas ses nombreuses obligations légales et déontologiques et, parmi celles-ci, celle de veiller aux meilleurs intérêts de son client ». Or, selon lui, le projet de loi 141 « banalise l’importance de cette obligation fondamentale ».

Résultat : advenant l’adoption du texte, « n’importe qui, un assistant non certifié ou encore un téléphoniste dans un centre d’appels outre-mer, pourrait dorénavant conseiller sans être un professionnel ». Avec au final un grand perdant : le consommateur. Selon le conseiller, la principale conséquence du projet de loi sera en effet de transférer sur les épaules des particuliers « le fardeau de connaître eux-mêmes leurs besoins financiers en matière d’assurances », celui de « faire les bons choix » et enfin celui de « prendre les bonnes décisions, dans un contexte où la sollicitation, en ligne ou autres, sera considérablement accrue ».

« En abolissant la CSF, on abolirait la structure de surveillance et de formation des professionnels. Allons-nous faire de même avec le Barreau, le Collège des médecins, l’Ordre des pharmaciens? Priver le public d’un organisme de protection de première ligne correspond tout simplement à livrer le consommateur à lui-même, à le priver d’un filet de sécurité et à ouvrir la porte à toutes sortes d’abus », a plaidé Gino Savard.

« PROTÉGER LE PUBLIC DOIT GUIDER TOUTE RÉFORME »

Le premier vice-président de la Chambre a ensuite tenté de démontrer que les arguments avancés pour supprimer l’organisme étaient infondés. Plusieurs raisons ont été invoquées, a-t-il noté : la confusion dans le public, le dédoublement de certaines tâches avec l’Autorité des marchés financiers et la réduction des coûts qu’une disparition de la CSF générerait. Mais il s’agit là « d’allégations qui restent à être démontrées », puisque « aucune donnée probante, étude ou analyse, n’a été fournie pour établir leur véracité ». Son verdict? « Ceci ressemble davantage à des prétextes qui évitent de dire que le contexte actuel complique la vie réglementaire de certaines institutions financières. »

Gino Savard a terminé son plaidoyer en posant à l’assistance une série de questions. A-t-on mesuré l’impact de l’abolition de la Chambre sur l’industrie et, surtout, sur les consommateurs? Leur a-t-on demandé leur avis, ainsi que celui des conseillers? A-t-on fait une étude d’impact dans l’éventualité où le projet de loi 141 serait adopté? Pourquoi veut-on tourner le dos au modèle de fonctionnement actuel? Et pour finir, il a demandé : « Qui a intérêt à déréglementer ce secteur important de la santé financière des consommateurs? Qui l’a demandé? Qui a intérêt à ce que le consommateur soit livré à lui-même alors que le système actuel le protège? »

« Nous nous opposons à une déréglementation dont les conséquences seront sans commune mesure pour les consommateurs. La protection du public est une condition sine qua non de toute réforme et doit guider le législateur », a conclu le conseiller.

LA PÉRIODE DE QUESTIONS

Lors de la période de questions, le ministre des Finances du Québec s’est dit en « désaccord total » avec M. Gino Savard qui va « un peu loin », estime-t-il. Selon le ministre, les consommateurs ne seraient pas du tout laissés à eux-mêmes. « Et l’AMF, sont-ils là pour décorer? », demande-t-il.

Selon le ministre Leitão, l’intégration de la CSF est une façon plus efficace de réglementer l’industrie. Ce n’est pas vrai que n’importe qui peut faire n’importe quoi, dit-il, puisque l’article 12, qui stipule qu’un représentant ne peut exercer que s’il est certifié par l’Autorité, lui, n’est pas aboli.

Sur la notion de conseil, que quiconque pourra exercer sans certificat, le ministre affirme que le conseil ne doit pas être une activité « exclusive ». C’est selon lui « très limitatif ». Il ajoute que sur l’aspect contractuel, seul un représentant certifié pourra faire affaire avec un client. « Restreindre le conseil serait priver les consommateurs d’une source d’information qui peut leur être utile. »

M. Savard ajoute pour sa part que priver le consommateur de la possibilité de s’adresser aux deux endroits équivaut à lui enlever un filet de sécurité. Il ne voit pas en quoi le « monstre » que va devenir l’AMF sera plus efficace que de plusieurs petits organismes de réglementation. Il ajoute par ailleurs que désormais, « Google ou Facebook pourront ouvrir un cabinet au Canada avec 200 ou 300 personnes en Inde qui vont conseiller des produits financiers aux Québécois. »

Pour Me Farley, il s’agit « d’un recul de 20 ans dans l’encadrement du conseil ».

Me Rousseau, quant à lui, a déploré la disparition de l’autoréglementation d’un côté, « reconnue et qui a fait ses preuves », et celle de la justice par les pairs de l’autre, plus « juste » selon M. Savard, car dispensée par des gens qui connaissent l’industrie.

Enfin, interrogée sur les ressources et le budget consacrés à la campagne de publicité de la Chambre des derniers mois, M. Savard a répondu qu’ils représentaient 6 % du budget total de la CSF. « Ça fait partie de notre mission de protection du public que de l’informer sur l’importance de faire affaire avec un conseiller certifié et d’avoir un filet de sécurité, en créant des images les plus efficaces possibles. »

La question de l’assurance

Après avoir souligné que la CSF « n’est pas contre l’utilisation des nouvelles technologies », Gino Savard a noté que « l’assurance est un produit complexe, difficile à comprendre, qui comporte d’importantes clauses ». Ce qui oblige les professionnels certifiés à « expliquer à leurs clients toutes les nuances d’un contrat ».

En effet, a-t-il averti, « une mauvaise réponse à une question, une omission involontaire ou une interprétation erronée d’une phrase par le consommateur peut entraîner de lourdes conséquences pour une famille, qu’elle constatera uniquement lorsque le drame surviendra parfois, plusieurs années plus tard ».

« QUI PEUT PRÉTENDRE AVOIR COMPRIS SEUL UN CONTRAT? »

« Qui d’entre nous peut prétendre avoir lu la totalité de son contrat d’assurance vie? Qui peut prétendre avoir compris, par lui-même, toutes les clauses qu’il comporte? Pouvons-nous vraiment prétendre que les consommateurs ont les connaissances financières requises pour interpréter un tel contrat? » s’est ensuite demandé le conseiller.

« En fait, c’est comme si on permettait au patient à la fois de s’autodiagnostiquer, de magasiner sur Internet un traitement et de se procurer auprès d’une pharmaceutique le médicament qui le guérira sans l’aide d’un professionnel », a-t-il résumé.