Parce qu’ils ont commis des entorses à la déontologie, des conseillers se retrouvent interdits de poursuivre l’exercice de leur métier, définitivement ou provisoirement. En 2018, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (CSF) a imposé 22 radiations permanentes et 131 radiations temporaires. Derrière ces statistiques se cachent des histoires humaines, qui peuvent servir de leçon à ceux qui ne sont jamais passés par là.

Réjean Talbot a exercé durant 42 années dans l’industrie des services financiers. « J’ai commencé ma carrière en 1973 chez Desjardins comme simple commis caissier », précise-t-il. Dix-huit ans plus tard, il quitte son emploi de directeur d’une caisse populaire pour lancer sa propre entreprise de services financiers.

Planificateur financier, conseiller en sécurité financière, représentant de courtier en épargne collective, conseiller en assurance et rentes collectives, M. Talbot a développé son bloc d’affaires au fil des années. En fin de carrière, le conseiller a recruté un plus jeune représentant en vue de le lui transférer.

Il avait tout prévu pour se retirer de son entreprise l’esprit tranquille, sa clientèle entre de bonnes mains, question de pouvoir profiter de sa retraite grâce aux fruits d’une vie à conseiller ses clients. Mais pour que ce scénario se réalise, il aurait fallu qu’il évite de commettre des erreurs qui ont coulé son plan… et transformé ses dernières années de pratique en cauchemar.

Trois fois devant le comité de discipline

En 2013 et 2014, le syndic de la Chambre de la sécurité financière déclenche successivement deux enquêtes sur Réjean Talbot. Dans le premier dossier, la plainte comporte 13 chefs d’accusation concernant trois consommateurs pour avoir effectué des opérations sans autorisation préalable, avoir fait défaut d’établir un profil d’investisseur, ne pas avoir fourni d’information complète, avoir agi à l’encontre de l’intérêt de clients et avoir ajouté des informations après la signature d’un client. Certains faits remontent à dix ans.

En 2018, M. Talbot sera acquitté de deux chefs d’accusation (avoir effectué des transactions dans le compte d’un client sans autorisation préalable et ne pas avoir fourni d’information objective et complète sur les fonds communs de placement souscrits) et recevra une radiation effective d’un mois pour l’ensemble des 11 autres chefs d’accusation.

Dans le deuxième dossier, un chef d’accusation vise le conseiller pour ne pas avoir agi dans l’intérêt d’un client, décédé depuis ; c’est la veuve du client qui s’est plainte à la CSF. M. Talbot plaide coupable et sera condamné à une radiation temporaire de six mois en 2016, six ans après les faits.

Puis une troisième plainte est déposée : la fille d’une de ses clientes se plaint que sa mère âgée a rédigé un chèque au nom du conseiller. C’est une employée d’une succursale d’institution financière qui aurait incité la dame à porter plainte en 2015, comme cela se fait fréquemment pour des raisons de concurrence, estime M. Talbot.

Celui-ci est accusé d’appropriation financière. Il clame son innocence en avançant une erreur de la part de sa cliente. L’enquête du syndic montre d’autres dépôts d’argent. « Des clients que j’avais aidés et qui m’ont remboursé », affirme le conseiller, ce qui reste tout de même interdit.

Radié temporairement, réputation perdue

L’accusation est grave. Réjean Talbot se voit radié temporairement en juillet 2015 pour une durée indéterminée. Pris dans la tourmente, il accélère le processus de transmission de son bloc de clientèle. Il ne peut plus exercer : autant transférer tout de suite ses affaires. Il présente le repreneur à sa clientèle. La mise en œuvre de l’entente est accélérée… sauf qu’un nouvel accord est rédigé.

« J’ai oublié d’activer les clauses de la première entente. J’en ai accepté de nouvelles », dit-il. Mais ces conditions-là sont bien moins intéressantes. L’affaire finira devant la cour en 2019, qui attribuera un montant à Réjean Talbot… moindre que ce qu’il espérait.

Quand il se retrouve condamné, trois ans après sa radiation temporaire, la réputation du conseiller est ternie. L’affaire a été largement médiatisée dans les réseaux grand public. Son nom est associé à du vol et de l’abus financier sur des personnes âgées, même s’il est mentionné que personne n’a perdu d’argent. Les articles relèvent qu’il a reconnu sa culpabilité.

« Ça m’a beaucoup affecté », témoigne-t-il, en précisant qu’aucun journaliste ne l’a contacté avant de relater le jugement dans les médias.

Il décide de cesser ses activités de bénévolat, notamment la fondation qu’il avait créée pour apporter de l’aide aux personnes en difficulté financière. Il laisse son poste d’administrateur d’une entreprise cotée à la Bourse de Toronto « pour ne pas ternir sa crédibilité », dit-il.

Rares sont les acteurs de l’industrie qui prennent de ses nouvelles. « Très peu m’ont appelé, pour ne pas dire personne. C’est comme si j’étais devenu contagieux. Tout ce qui reste dans l’esprit des gens, c’est que tu es un voleur. »

Réjean Talbot garde un pied dans son ancien métier en travaillant comme mentor auprès d’une conseillère. « Ça lui a nui dans un premier temps », note-t-il. Certains appellent ses partenaires d’affaires pour la décrédibiliser, affirme-t-il.

« Je veux témoigner pour prévenir d’autres conseillers de faire attention aux erreurs qu’ils pourraient commettre ; ne sous-estimez pas les gestes que vous posez. »

– Réjean Talbot, ancien conseiller

Des leçons à retenir

S’il pouvait revenir en arrière, Réjean Talbot aurait assurément agi différemment. « C’est pour cela que je veux témoigner, pour prévenir d’autres conseillers de faire attention aux erreurs qu’ils pourraient commettre ; ne sous-estimez pas les gestes que vous posez », prévient-il.

Et il se serait défendu différemment… « Jamais je n’aurais dû plaider coupable, martèle-t-il. J’aurais pu amener des témoins qui auraient démontré que je n’avais pas essayé de frauder, que personne n’avait perdu un sou. »

Les efforts de son avocat pour le convaincre de se défendre se sont heurtés à son angoisse. « J’étais à terre. Je voulais vraiment me libérer de tout ça, au plus vite. De toute façon, je n’avais plus le droit de parler à aucun client », dit-il.

Quant à l’origine de ses ennuis, M. Talbot en garde une leçon, qu’il est trop tard pour appliquer à lui-même : « Signer à la place d’un client, lui avancer de l’argent, ce sont des gestes à ne jamais poser. Cela vous poursuivra toute votre vie, jusque dans votre propre famille, détaille-t-il. Vos clients veulent des conseils judicieux, de la sécurité. N’essayez pas de leur décrocher la lune. Ce n’est pas ça qu’ils attendent de vous. »

Aujourd’hui âgé de 66 ans, Réjean Talbot vit de ses revenus de retraite et de l’argent provenant de la vente de sa clientèle. Mais il doit débourser 63 000 $ de frais annuels pour la résidence spécialisée de sa conjointe. L’ancien représentant, qui a passé des décennies à conseiller sa clientèle dans la préparation de leurs vieux jours, se retrouve face à la perspective de l’épuisement de ses ressources financières. « Ce ne sera pas long avant que je passe à travers mes réserves », confie-t-il.

« Ne pas réagir, c’est se condamner une deuxième fois.  »

Serge Létourneau, avocat à LLB Avocats

La publicité, pire sanction

Nombre de conseillers peuvent apprendre de l’histoire de Réjean Talbot. Même une affaire mineure fait l’objet d’audiences publiques, rappelle Serge Létourneau, avocat à LLB Avocats.
« Les sanctions disciplinaires peuvent avoir des conséquences désastreuses sur la réputation du conseiller, d’autant que certaines mesures font l’objet de publications dans des revues spécialisées, souligne-t-il. La publicité est souvent la plus grande des sanctions. » Et c’est sans compter que des médias grand public peuvent s’emparer d’une affaire qui n’avait fait que quelques lignes dans un hebdomadaire local.

Une enquête du syndic de la CSF peut porter sur des infractions variées. Les plus graves, comme la fraude ou l’appropriation de fonds, sont évidemment plus incendiaires pour la réputation. « L’honnêteté est le bien le plus précieux du conseiller, souligne Me Létourneau. Si elle est mise en doute, le contact se rompt quasi définitivement. Les clients éviteront de faire affaire avec un conseiller trouvé coupable de fraude ou d’appropriation. C’est difficilement récupérable. »

Mais il n’y a pas besoin d’avoir fraudé pour être montré du doigt. « Des conseillers se retrouvent dans des situations problématiques pour avoir manqué à des règles administratives secondaires et sont éclaboussés parce que le dossier implique d’autres individus à un niveau plus important : ceux-ci sont trop stigmatisés comparativement à l’ampleur du geste posé », analyse Serge Létourneau.

En cas de condamnation médiatisée, le conseiller radié temporairement devrait miser sur la communication s’il souhaite continuer à pratiquer. Un professionnel reconnu coupable d’une infraction disciplinaire devrait rencontrer ses clients pour leur exposer simplement la situation, ce qui lui a été reproché, dans quelles circonstances, et pour répondre à leurs questions, suggère Me Létourneau.

« L’enjeu est de rebâtir le lien de confiance qui a été ébranlé par la sanction », explique-t-il. Le conseiller doit être proactif même s’il est déstabilisé par la condamnation. « Si les clients l’apprennent avant qu’on leur en ait parlé, ils vont penser qu’on leur a caché », prévient Michel Mailloux, planificateur financier et formateur en déontologie.

Si le cas n’est pas médiatisé, il n’est pas utile de procéder à ces rencontres avec les clients, juge Me Létourneau. « Il ne s’agit pas de mettre le feu partout. Il n’est pas nécessaire de créer l’inquiétude, l’idée est plutôt de la juguler quand elle est déjà présente. »

Pour Michel Mailloux, ce n’est pas tant la diffusion publique de l’affaire que sa gravité qui devrait dicter la conduite du conseiller. D’après lui, on devrait communiquer avec la clientèle seulement quand la faute a des répercussions directes sur elle. Il ne préconise pas de révéler l’erreur lorsqu’elle est purement administrative, comme un document envoyé en retard ou deux unités de formation continue manquantes qui entraîneraient une sanction.

Il s’agit aussi de réparer le lien de confiance. À la suite d’une condamnation disciplinaire, le conseiller devrait informer ses clients qu’il a pris les moyens pour faire en sorte que cela ne se reproduise pas, soutient Me Létourneau. Cela peut consister à suivre une formation, mais aussi à se faire aider du cabinet ou d’un spécialiste en conformité.

Expliquer qu’on se fait accompagner dans sa pratique est de nature à rassurer tous les partenaires du conseiller, à commencer par les clients. Cet encadrement peut être prévu dans la sanction disciplinaire. Si ce n’est pas le cas, le conseiller devrait tout de même le faire pour améliorer sa méthode de travail, par exemple en mandatant un expert en conformité pour réviser tous ses dossiers et s’assurer de leur bon ordre.

Bien sûr, de telles mesures ne sont possibles que si l’infraction est d’une gravité limitée. Mais elles peuvent ne pas suffire. « Si les fournisseurs de services et de produits décident de ne plus soutenir un conseiller, il ne peut plus travailler », prévient Serge Létourneau.

La réputation n’est donc pas seulement importante pour la clientèle. « Les compagnies d’assurance n’ont pas à justifier le refus de collaborer avec un conseiller », précise Michel Mailloux. Or, elles se tiennent informées des poursuites disciplinaires et des condamnations.

Et s’il y a bien un geste à éviter en cas de condamnation disciplinaire, c’est celui de se mettre la tête dans le sable en se disant que tout ira bien, avertit Me Létourneau. « Ne pas réagir, c’est se condamner une deuxième fois. »

Les sanctions disciplinaires en chiffres

En 2018, la radiation temporaire était la sanction la plus fréquemment prononcée contre un conseiller se retrouvant devant le comité de discipline. Plus d’un chef d’infraction sur deux se terminait par cette condamnation.

  • Radiation temporaire : 131 sanctions
  • Amende : 52 sanctions (en moyenne 5 048 $)
  • Réprimande : 26 sanctions
  • Radiation permanente : 22 sanctions
  • Recommandation de formation : 16 sanctions
  • Ordonnance de remboursement : 1 sanction

TOTAL : 248 sanctions

Source : Chambre de la sécurité financière


• Ce texte est paru dans l’édition de juin 2020 de Conseiller.
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