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Le budget fédéral 2018 a dévoilé les nouvelles mesures fiscales visant les revenus de placement des sociétés privées sous contrôle canadien (SPCC). Le ministère des ­Finances voulait ainsi éliminer l’avantage fiscal dont elles bénéficient relativement aux investissements passifs effectués avec les revenus d’entreprise active après impôt.

Le taux d’imposition applicable aux revenus de placement d’une ­SPCC est de 50,37 % au ­Québec. Une partie de cet impôt, soit une somme égale à 30,67 % des revenus, lui est remboursée lorsqu’elle verse un dividende à ses actionnaires, qui paient alors des impôts sur le dividende qu’ils reçoivent. Le remboursement est accordé à raison de 38,33 $ pour chaque 100 $ de dividende versé.

Le suivi de ce mécanisme se fait par l’entremise du compte de l’impôt en main remboursable au titre de dividendes (IMRTD), auquel est notamment ajoutée annuellement une somme égale à l’impôt remboursable et duquel est déduit à la fin de l’année l’impôt remboursé lors du versement de dividendes. Le mécanisme permet à la fois d’éviter un report d’impôt sur les revenus passifs gagnés par les ­SPCC et d’assurer l’intégration, soit le principe voulant qu’un revenu gagné par une société et versé à son actionnaire soit assujetti globalement aux mêmes impôts que le même revenu gagné directement par un individu.

Malgré le principe de l’intégration, il est vrai que le régime actuel permet aux entreprises constituées en sociétés qui investissent passivement leurs revenus d’entreprise après impôt d’obtenir un meilleur rendement que les individus non constitués en société. Le capital disponible pour investissement dans les ­SPCC est simplement plus important, car elles paient moins d’impôt sur leurs revenus d’entreprise que les individus.

Pour pallier cet avantage, que le ministre considère injustifié, le budget de février dernier prévoyait deux changements qui entreront en vigueur pour les années d’imposition suivant 2018.

Réduction de la ­DPE

Le premier changement consiste à réduire l’accès à la déduction pour petite entreprise (DPE) lorsque les revenus passifs d’une société excèdent 50 000 $. Rappelons que la ­DPE est applicable aux premiers 500 000 $ de revenus d’entreprise exploitée activement. Cette limite, appelée le « plafond des affaires », s’applique à l’ensemble des sociétés associées. La ­DPE résulte en un taux d’imposition combiné (fédéral et provincial) de 17 % en 2018 et 15 % en 20191. Les revenus d’entreprise qui excèdent le plafond des affaires sont quant à eux assujettis à un taux d’imposition de 26,7 % en 2018 et de 26,6 % en 2019 au ­Québec.

Le nouveau régime d’imposition prévoit que le plafond des affaires sera réduit de 5 $ pour chaque dollar de revenu passif excédant 50 000 $, jusqu’à concurrence de 150 000 $. La réduction du plafond des affaires est établie en fonction des revenus de placement gagnés lors de l’année d’imposition précédente.

Ainsi, cette nouvelle mesure n’aura aucune conséquence pour les sociétés dont les revenus passifs annuels sont inférieurs à 50 000 $. Pour celles dont les revenus passifs excèdent 150 000 $, aucune ­DPE ne sera accordée et tous leurs revenus d’entreprise seront imposables au taux de 26,6 %.

Pour les sociétés dont les revenus passifs se situent entre 50 000 et 150 000 $, les répercussions de la réduction du plafond des affaires dépendront de leurs revenus d’entreprise.

Prenons l’exemple d’une société dont les revenus passifs sont de 100 000 $ et qui verra son plafond des affaires réduit de 250 000 $2. Si ses revenus d’entreprise n’excèdent pas 250 000 $, la réduction du plafond des affaires sera sans répercussion puisqu’elle conservera le droit à la ­DPE sur 250 000 $ de revenus. Par contre, si ses revenus d’entreprise s’élèvent plutôt à 500 000 $, elle sera pénalisée puisque 250 000 $ de revenus ne pourront pas bénéficier de la ­DPE et seront imposables à un taux de 26,6 %.
Finalement, le nouveau concept de « revenus de placement ajustés » est introduit dans la loi pour déterminer le montant de la réduction du plafond des affaires. Il s’agit du « revenu de placement total » utilisé pour établir l’IMRTD, auquel on applique certains ajustements. On y exclut notamment le gain en capital découlant de la disposition de certains actifs d’entreprise active et actions de sociétés rattachées qui exploitent activement une entreprise, et on y ajoute les dividendes reçus de sociétés non rattachées.

Les revenus de placement ajustés devront être déterminés à l’égard de l’ensemble des sociétés d’un groupe de sociétés associées puisque la réduction du plafond des affaires est établie en fonction des revenus de placement ajustés du groupe.

Limites à l’obtention du remboursement de l’IMRTD

Le deuxième changement touche le mécanisme de remboursement de l’impôt en main remboursable au titre de dividendes. Présentement, il peut aussi bien être obtenu lors de la déclaration d’un dividende déterminé que non déterminé. Rappelons que les dividendes déterminés proviennent des revenus d’entreprise active qui ne sont pas admissibles à la ­DPE et qui sont plutôt imposés au taux général. Les dividendes non déterminés proviennent des revenus de toute autre source incluant, notamment, les revenus d’entreprise active admissibles à la ­DPE et les revenus de placement. Le taux d’imposition des dividendes déterminés est moins élevé que celui applicable aux dividendes non déterminés.

Les nouvelles règles prévoient que le remboursement de l’IMRTD ne pourra être obtenu qu’avec la déclaration d’un dividende non déterminé. Une exception : l’IMRTD généré par la réception d’un dividende déterminé d’une société non rattachée ou d’un dividende imposable d’une société rattachée, dans la mesure où cette dernière a ­elle-même obtenu un remboursement de son ­IMRTD déterminé.

Rappelons qu’en vertu des règles actuelles, la réception d’un dividende (déterminé ou non déterminé) d’une société non rattachée ou d’une société rattachée qui a ­elle-même obtenu un remboursement de l’IMRTD a pour conséquence le prélèvement d’un impôt de la partie ­IV, qui est ajouté au compte d’IMRTD. Or, en vertu des nouvelles règles, il demeurera permis d’obtenir le remboursement de l’IMRTD découlant de l’impôt de la partie ­IV avec la déclaration d’un dividende déterminé.

Pour assurer le suivi de ces montants, un nouveau compte appelé « ­IMRTD déterminé » sera créé. Y sera ajouté l’impôt de la partie ­IV, découlant soit d’un dividende reçu d’une société non rattachée, soit d’un dividende reçu d’une société rattachée qui a ­elle-même reçu le remboursement de son ­IMRTD déterminé. Tout dividende imposable, incluant un dividende déterminé, pourra permettre à la société d’obtenir le remboursement de son ­IMRTD déterminé.

Un nouveau compte de suivi appelé « ­IMRTD non déterminé » sera également créé. Il sera composé des mêmes sommes qu’à l’heure actuelle, sauf l’impôt de la partie ­IV, qui est inclus dans le compte d’IMRTD déterminé. Seule la déclaration d’un dividende non déterminé permettra à la société d’obtenir le remboursement de son ­IMRTD non déterminé.

Que nous réserve l’avenir?

Rappelons que les nouvelles règles entreront en vigueur pour les exercices financiers débutant après 2018. Des règles transitoires sont prévues pour gérer la création des nouveaux comptes d’IMRTD lors de la première année d’application des nouvelles mesures. Plus spécifiquement, pour les ­SPCC, une somme égale à 38,33 % du compte de revenu à taux général3 (sans toutefois excéder le solde de l’IMRTD à la fin de l’année précédente) sera versée au compte d’IMRTD déterminé et le reste de l’IMRTD sera plutôt versé au compte d’IMRTD non déterminé.

Ainsi, l’année d’imposition débutée en 2018 est la dernière durant laquelle les dividendes déterminés donneront lieu au remboursement de l’IMRTD non déterminé. Les contribuables ont donc intérêt à réviser leurs stratégies de fin d’année avec leurs conseillers fiscaux afin de déterminer s’il est avantageux de déclarer les dividendes requis cette année pour bénéficier des anciennes règles.

Les conséquences de ce nouveau régime d’imposition des revenus passifs pourront aussi être réduites avec une bonne gestion des placements, notamment en contrôlant lorsque possible le moment de la réalisation des revenus et la nature des revenus. Il pourrait être opportun de revoir les structures d’entreprises pour dissocier du groupe les sociétés dont les revenus passifs ont des répercussions importantes sur la disponibilité de la ­DPE, lorsque possible.

En ce qui concerne la limite au remboursement de l’IMRTD, seules les sociétés ayant des revenus nets d’entreprise annuels excédant 500 000 $ seront touchées par cette nouvelle mesure. Ce changement nous semble cohérent avec la politique fiscale voulant que seuls les revenus d’entreprise imposés au taux élevé puissent être distribués aux actionnaires sous forme de dividende déterminé, imposé à plus faible taux entre les mains de l’actionnaire. Enfin, les nouvelles exigences en matière de conformité découlant de la nécessité de maintenir deux comptes de suivi de l’IMRTD, quoique requérant un certain travail additionnel, ne nous semblent pas excessives.

Deux questions que le conseiller en sécurité financière devrait poser à son client: 1 Avez-vous pensé à utiliser le volet placement d’un contrat d’assurance dans une société par actions pour y investir et permettre d’exonérer d’impôt ses revenus passifs ­au-delà de 50 000 $ ?

2 ­Saviez-vous qu’il est possible d’éviter l’imposition du revenu de placement passif excédant 50 000 $ en transférant des placements dans un ou plusieurs régimes de retraite individuels au bénéfice des actionnaires ou d’­employés-clés ?

­Jean-Guy ­Grenier, ­ BAA, ­CMC, ­Adm.A, ­Pl. Fin., est expert associé au ­centre financier ­SFL des Sources.

Me ­Katia ­Sebastiani est avocate spécialisée en fiscalité et droit des affaires chez ­Cain ­Lamarre.


1 Si plus de 5 500 heures de travail rémunérées. Si cette condition n’est pas remplie, le taux d’imposition des revenus sous le plafond des affaires sera plutôt de 21,7 % en 2018 et de 20,6 % en 2019.
2 50 000 (revenus de placement de la société excédant 50 000 $) x 5 (réduction du plafond des affaires par dollar excédant 50 000 $) = 250 000 $
3 Le compte de revenu à taux général représente les revenus excédant le plafond des affaires ayant subi l’imposition au taux élevé applicable aux revenus d’entreprise.


• Ce texte est paru dans l’édition de septembre 2018 de Conseiller.
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